Par Marcel MOREAU - « Une philosophie
à coups de rein » de chez Denoël 2007
Jouiscience : un mot probablement né des noces d’un rythme pénétrant et d’une béance sensorielle, cette sécrétion -là, rien qu’elle, mais – qui sait ?- de la race des « avénementielles », pour parler comme à l’université, une fois n’est pas coutume, qu’on me le pardonne. Soyons plus précis : quand j’écris jouiscience, je vois une connaissance jouissant d’en être une au moment où, dans son corps, le connaissant jouit de ses retentissements.
Le plaisir est charnel et il est
partagé spirituellement. Du même coup, je me dis que si cette jouiscience se
généralisait, dans le domaine de l’acquisition du savoir, les avancées de la
Science elle-même en perdraient de leur insensibilité aux conséquences
déshumanisantes, « faustiennes » de certaines de leurs applications. Ce ne
serait plus une Science développant à discrétion les retombées de son divorce d’avec
le vertigineux gisement d’intelligence de la vraie vie, du vrai sens de la
vraie vie, dans sa complexité abyssale,
dont je crois que notre corps pulsionnel possède le mouvement. Il le
possède, à défaut de pouvoir, étant donné l’empire de la raison, nous en administrer
toute la jouissance (le tressaillement lascif), soit comme libération de l’être,
soit comme ivresse des grands espaces intérieurs, aux frontières de cette folie
lucide dont nous écrivîmes naguère qu’elle était le fer de lance de notre recherche
d’une explication aux cultures inusitées qui, dans notre nature de chair et de
sang, n’ont cessé de nous rendre inclassable aux yeux de la culture codée.
Certes la jouiscience restera encore,
pour longtemps, me semble-t-il, vu l’évolution des techniques de réduction de l’homme
à une marchandise culturelle ou pseudoculturelle, une notion bien utopique. Il faudrait
une conscience éperdue que les mots sont eux-mêmes des corps vivants dans notre
corps vivant et ayant hérité d’un rythme immémorial, « désintéressé », consubstantiel
à la création du monde, depuis la nuit des temps, pour que le plaisir de
connaître mette en branle, durablement, les zones érogènes de la connaissance
elle-même. Mais aussi, j’avoue ne pas toujours savoir, avec précision, ce que
veulent me dire mes mots lorsqu’ils me font écrire de telles pensées, dépassant
l’entendement. Ecrire, alors, c’est faire provision de ce quelque chose qui les
habite et dont je ne reçois encore que la force suggestive. Les mots me
donnent le cran d’en exprimer les premières saveurs. J’ose prendre à mon compte
ce que ces saveurs ont d’immédiat, comme dans le vocable « jouiscience », laissant au rythme qui est le
mien, organique et verbal, le pouvoir de transformer, ou non, tôt ou tard, mon pressentiment
en vérité vécue ou à vivre, de toute urgence. En tout état de cause, mes mots
me débordant pour dire ça sont des corps imprévisibles dans un corps devenu
plus aventurier que mécanique, grâce à eux… »
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