Par Georges Goyet, bricogénieur en développement territorial
I) Premiers exercices de style d’espaces
composés :
De
l’assignation à résidence aux « hors-les-murs »
L’invite
à notre rencontre stipule : « Dans l’héritage commun, la notion «
d’espace culturel » renvoie souvent, encore aujourd’hui, à un lieu institué et
clos ; de même, la notion
de territoire évoque majoritairement un lieu, précisément limité, afférant à
une responsabilité politique. »
Cette
phrase introductive met en scène :
- une entité administrative dédié à un espace physique territorial - la collectivité locale
- un lieu dédié à la culture par cette autorité,
- un mode de pratiques du champ culturel dans ce lieu.
Il m’est difficile de ne pas rapprocher cette phrase d’une
autre phrase symbole qui nourrit cet état de représentation de la relation
entre le territoire et la culture :
« sur le territoire
de la collectivité locale X est prévu ou
a été réalisé un équipement à vocation d'espace culturel ».
Sous
cette phrase anodine de la langue de bois, court une représentation, celle des
aménageurs du territoire et du zoning urbanistique, du PLU Plan Local
d’Urbanisme avec ses spécifications d’espaces pour l’habitat, l’industrie les
loisirs, sport et culture.
Il
est parlé et acté, avant tout, une destination fonctionnelle des espaces d’un
territoire. Dans ce cas est désigné et localisé un espace, lieu
d’investissements dédiés à un aménagement physique support d’activités
identifiées culturelles. Les moyens affectés et leur concrétisation « en
dur » fixent au sens premier –physique – et au figuré des représentations
de la culture et de ses manifestations avec certaine analogie à un lieu de
culte où l’on célèbre quelques rituels.
La
langue des aménageurs relayée par celle des élus pour lesquels le poids de la
réalisation concrète d’un équipement prime souvent sur l’invisible immédiat de
l’action culturelle et artistique, les contraintes financières et gestionnaires
de ces équipements par les acteurs de la culture, une certaine
« distribution » des produits culturels industrialisés en phase avec
le complexe « marketing-publicité-consumérisme » …etc tout concourt à une forme d’assignation à résidence « grande
surface parking ».
Depuis
une bonne quinzaine d’années des expériences de plus en plus nombreuses ont
investi « hors les murs » .
Ici
se trouvent, je crois, des acteurs qui ont expérimenté, expérimentent ces
sorties de l’assignation à résidence. Non sans difficultés !
Ces
sorties me semblent en phase avec au moins deux autres grands processus de
trangressions des frontières établies :
- celui du monde de l’art qui tend progressivement à investir tous les domaines –humains et environnementaux. Cette extension du « domaine de l’art » à tous les domaines, amène certains artistes à s’interroger sur les notions d’artiste et de travail artistique. La question posée dans le programme des Rencontres Obliques : « ..pour sortir de la dichotomie entre culture artistique et culture anthropologique-une culture d’artisan ? » est pour moi un symptôme de ce phénomène.
- celui nourrit par la lente maturation de la responsabilité anthropologique quant au devenir de notre écosystème. Nous sommes entrés pour certains dans l’ère anthropocène. Les risques courus et les tentatives pour y faire face impulsent des modes de penser et faire mettant en avant des approches globales et transversales des problèmes. Tout se tient, interagit et rétroagit. Aussi les cloisonnements établis, le mécanicisme linéaire, taylorien etc bref le paradigme dominant qui nous a amené là où nous en sommes est à bout de souffle voire suicidaire. Un formidable travail des frontières est en cours, plus ou moins visible, soutenu et entravé. Il nous amène à tenter de formaliser la multiplicité des espaces et temporalités dans lesquels nous sommes immergés pour en envisager de nouvelles compositions.
Ces
premiers éléments généraux de contextualisation de l’initiative de Scènes
Obliques et du pari fait sur ces rencontres fondent pour moi, la justesse, la
pertinence et la nécessité du chantier proposé pour ces deux jours et à long
terme.
Ce
chantier se sait aventureux, fragile car sa réalisation implique pour ses
participants une implication quelque peu délicate car devant conjuguer
simultanément la mobilisation de leur expérientiel et des
« lacher-prises ».
Des
arpentages physiques et virtuels proposés et potentiels, communs et individués
se verraient bien comme des cheminements « hors piste ». Des
« lacher-prises » sans .. ! relachement, c'est-à-dire mobilisant
notre attention , notre vigilance pour capter nos péripéties et en constituer
le journal des signes de pistes.explorées. !! Rassurez-vous, ça n’a rien à
voir avec une B.A, il est plutôt question de geste de survie, de quête
d’oxygène pour, comme disait Dubuffet, échapper à l’ « asphixiante
culture ».
Le
chantier est un pari dont l’un des aspects se trouve formulé ainsi.
« La question de l’espace dans la pluralité de
ses sens s’impose ainsi comme une
exploration préalable indispensable à la richesse des échanges.
Mais
bien plus qu’une figure imposée, le pari est fait que la diversité et la confrontation des apports sur
cette notion d’espace sera de nature à
stimuler l’acuité, la
profondeur, et jusqu’à la poésie des regards »
Ce
matin nos quatre interventions sont une partie des apports envisagés.
II) Premiers pas.
2.1-
Susciter un espace d’échanges de regards constitués.
En ce
qui me concerne, ma proposition d’arpentages virtuels
« inter-spatiaux » nécessite
un premier pas dans l’espace méthodologique.
Les
apports de ce matin peuvent être considèrés comme constitutifs d'un noyau
générateur de sollicitations, implications, fabrications. Rappelons-nous que
nous sommes ici pour penser, arpenter et fabriquer.
Aussi,
d’un point de vue méthodologique, ce noyau générateur semble devoir être avant
tout une proposition d’énumérations, de descriptions d’espaces. Des mises en
vue pour un inventaire partiel, partial, de spatialités.
Ce
paysage lacunaire de spatialités devrait progressivement :
a) ouvrir
sa remise en question et son enrichissement,
b)
solliciter, chacun d’entre vous, pour les mises en relation,
compositions et interprétations subjectives de ces espaces complexes, compte
tenu de votre expérience, de vos responsabilités et exercices professionnels,
c)
contribuer à la coconstruction d’une vision partagée du paysage du
chantier, de ses objets de travail et de leurs enjeux.
Vision
partagée ne voulant pas dire la même pour tous mais la mise en commun de la
variété des représentations en présence, sans l’acharnement à vouloir décréter,
imposer une BONNE, JUSTE représentation. Un accueil-cueillette d’une
« biodiversité » !! « forcément » hétérogène comme
dirait « Guiguite » et créant un autre aspect du pari, celui de
tenter de faire du commun dans et par la reconnaissance des singularités
rassemblées.
Nous
pourrions tenter de créer un« Espace de compositions », précaire,
incertain, complexe où penser et agir dans ces conditions, n’est guère dans nos
habitudes ! de penser, d’agir, … de pratiques démocratiques …
Façon
d’introduire, sur la pointe des pieds, l’apport qui m’est demandé
intitulé : « penser, agir des espaces précaires, incertains,
complexes »
2.2 -
Parti-pris
A
l’ampleur non-envisageable du propos visé selon le titre, vous comprendrez mes
précautions pour la réalisation. Il ne s’agira que :
> d’une énumération partielle et
partiale d’espaces avec parfois quelques éléments descriptifs,
> de seulement un témoignage
limité pour le penser et agir ces espaces. Le plus « démonstratif » de ces limites étant ce qui vous est
« donné à voir » via mon intervention !!
Le
parti pris pour la réalisation de cet apport est d’investir ce que nous
pouvons, ce que nous voulons du commun constitué par nos mises en présences ces
deux jours et peut être au-delà.
Ce
commun, par les rencontres obliques que nous installons, peut, devrait – est
inscrit, vit, somnole, se déploie, s’échappe … dans des espaces précaires,
incertains, complexes que nous pensons et agissons.
Les
objectifs visés par ce parti pris sont
- sur le fond
a) Pour élargir nos représentations des espaces,
il est tenté la sollicitation de l’expérientiel de chacun in vivo.. La stimulation,« l’acuité,
la profondeur, et jusqu’à la poésie des regards » sont recherchés
en interpellant vos compositions d’espaces et de temps dans vos propres
activités par des apports relativement exogènes au milieu culturel.
L’apport proposé est un exercice d’énumération et de
description relative d’espaces singuliers composés : ceux qui de fait
constituent et caractérisent notre présence : d’ « obliques rencontres »,
ici, au « Bivouac », aux Adrets ces 6 et 7 juillet 2012 .
Il est une vue d’un « hors-là » compte tenu du
micro milieu vivant constitué ici:
Ø
des participants –artistes et intercesseurs
culturels - .
Ø
des agencements institutionnels et systèmes d’acteurs
sous-jacents à la tenue des rencontres.
Cette vision de « Huron » est confrontée directement
à vos perceptions, représentations des espaces et enjeux – jeux – d’espaces
dans lesquels vous vous percevez, ici, maintenant mais aussi dans vos lieux et
activités professionnelles se souciant de réfléchir, expérimenter, transformer
des liens entre « culture et territoire ».
b) Pour le « penser, agir dans le précaire, incertain, complexe
La construction de mon apport et son contenu témoignent de mes
bricolages dans ce domaine. Soyez indulgents !!
L’usage du mot « bricolage » n’est pas fausse
modestie ou qualification péjorative. Il manifeste une posture de « mise
en œuvre » d’explorations pour penser, agir, dire « autrement ».
Cet autrement n’étant pas préfiguré, pas stabilisé même si de nombreux
explorateurs-bricoleurs ont déjà défriché quelques clairières du paradigme
émergeant. Dans la langue de ces explorateurs il est invoqué que nous serions
dans une transition paradigmatique. Et que s’opèrent des mutations, des
métamorphoses non prédictibles.
- Sur la forme
Pour les deux objets de travail – les espaces et le
penser/agir- il est recherché l’installation de mises en abîmes, ici,
maintenant en créant des situations de miroirs, face à face.
Cela sous entend un souci partagé d’empathie et de
mobilisation de nos capacités d’étonnement pour l’accueil des altérités se
manifestant et que l’on souhaite voir contribuer à une intelligence
collaborative.
Cela peut nous faciliter l’investissement
du niveau réflexif méta. ce qui est
visé sur le fond.
Formellement,
l’apport propose une opération modeste en comparaison à celle réalisée par John
BERGER à propos de l’art dans son ouvrage « Voir le voir ».
Je
vous suggère de tenter de « voir » et de « voir
nous voir » -niveau méta- les
espaces « en œuvre » pour les réfléchir dans et par les
rencontres.
___________________________________________________
III) Retour sur nos
pas. Spatialités de la genèse des
« Rencontres Obliques »
Pour préparer ma participation ici, une réunion de travail
s’est tenue le 25 mai 2012 à Grenoble au Musée d’Art Contemporain, dans le bar
5.
Nous étions 5. Antoine, Danielle, Audrey, Céline et moi. Bref un
p’tit club des 5 ponctuel...
Par des biais divers, des cheminements plus ou moins aléatoires, nous nous sommes dit pourquoi nous étions là, pour quoi faire et explorer quelque peu le comment. ..
Par des biais divers, des cheminements plus ou moins aléatoires, nous nous sommes dit pourquoi nous étions là, pour quoi faire et explorer quelque peu le comment. ..
La représentation de la genèse et l’interprétation de la
proposition des Rencontres Obliques que je me suis faites après-coup ont
été :
- les activités antérieures et l’expérience accumulées par SO ont exploré des espaces-temps physiques, humains selon des modalités singulières en lisières de la doxa des politiques culturelles.
- Ces explorations se sont constituées d’emblée avec le désir, le souci d'établir dans la durée des passerelles entre le local et la planète. Des emboîtements d’échelles d’espaces, du micro – le bivouac par exemple – au méso – l’agglomération grenobloise, le département de l’Isère, la Région Rhône Alpes …l’Europe au macro la planète et le cosmos ! Sidérant n’est-ce pas ? Exorbitant mais vrai.
- Une soif des « AILLEURS » a nourri des voyages, cheminements qui ont suscité des rencontres étonnantes … pour des voyageurs détonnants!
- L’étonnement s’est constitué dans les trouvailles de mêmes et de différents.
Des mêmes
constitués par des acteurs, des expériences portées par une même énergie de questionnements et
d’expérimentation de nouveaux paradigmes de la création artistique et de
l’action culturelle,
Des différents car les auteurs,
leurs milieux et contextes sont des singularités localisées – espace et
temps - une multiversité en quelque
sorte.
- Dans ces étonnements résidaient et se sont déployés:
·
Une reconnaissance réciproque des acteurs
·
Une reconnaissance et connaissance de
préoccupations partagées
·
Un plaisir et un soulagement d’être moins seuls
dans ces aventures
·
Une inventivité protéiforme en œuvre
·
Une intelligence dans les attitudes,
problématiques et actions, intelligence souvent invisible au et/ou
invisibilisée par le regard de l’institutionnel, de l’établi.
·
Un désir de partage et de se donner du temps, du
recul pour réfléchir l’agir de chacun,
·
Un désir que ce moment rêvé de mises en présence
soit lui aussi une échappée paradoxale - libre-organisée - de création, une
mise « en œuvre » de chacun.
·
Un désir de compagnonage, d’épaulement pour
poursuivre les chemins amorcés.
- Aussi ces Rencontres Obliques sont un foyer de condensation, un premier feu de bivouac qui va jalonner le nomadisme d’un phénomène émergent, fragile, pas encore très formalisé. Foyer de convergences, attracteur d’étranges, accumulateur d’énergies pour poursuivre l’œuvre de l’instituant et opérer des transitions, métamorphoses d’espoir alors que s’accumulent les signes et les risques mortifères d’une étape de l’hominisation.
La légende de cette
phauto-représentation de la genèse des RO , vous avez dû l’entendre, est
constituée de nombreux vocables désignant ici une grande variété d’espaces, de
façons de s’y mouvoir et de ce qui se passe dans le DEPLACEMENT et la RELIANCE.
Ces désignations à vocables
relevant du spatial – mais pas que, car ce qui est représenté avant tout est un
enchevêtrement de processus- sont
- en lisières de la doxa des politiques culturelles.
- passerelles entre le local et la planète. Des emboîtements d’échelles d’espaces, du micro au méso au macro, la planète et le cosmos !
- Exorbitant
- des « AILLEURS » rencontres étonnantes … pour des voyageurs détonnants
- L’espace laissé aux étonnement, espaces de questionnements et d’expérimentation de nouveaux espaces, paradigmatiques de la création artistique et de l’action culturelle.
- Un désir d’archipel d’intelligences collaboratives, de solidarités, d’échappées libres concertées, de résistances où s’inventent des chemins de travers(e)
- Un désir de condensation, de constitution d’un territoire invisible –comme le fut un certain collège
Tous ces espaces et sûrement beaucoup d’autres que je n’ai
pas perçus, sont noués à DES temporalités. Ils nous laissent entrevoir des
évolutions, des transformations, une écologie d’un milieu minoritaire émergeant
cherchant à exister, à s’exister dans ses environnements.
IV) Pour s’exister, Une halte, un bivouac.
« Exister c'est, au sens
non-trivial du mot, avoir sa tenue hors … en avant de soi, en soi plus
avant. Se tenir hors de soi et intérioriser ce hors, c'est le paradoxe
constitutif de l'existant, qu'il peut non pas résoudre mais soutenir en faisant
oeuvre. »
p325
« Ouvrir le rien, l'art nu » Henry MALDINEY éd « encre marine »
2000
La proposition de tenue de
rencontres obliques au bivouac est la concrétisation même de la mise en œuvre
de ce paradoxe. Il est de fait proposé à une nébuleuse naine naissante de se
condenser pour se tenir hors de soi et créer les conditions de mise en abîme,
de mise en miroirs pour se réfléchir, pour s’exister, pour faire (le) point sur
la carte, dans les territoires culturels.
Au sens physique et figuré ce
mouvement pour une halte entre en résonance avec l’appellation de notre lieu « bivouac »
Étymologie de bivouac
L’étymologie proposée de bivouac a quelques variantes,
nuances. Ce mot aurait des origines allemandes :
> Beiwache, bivouac, de bei, auprès, et wachen, veiller.
C’est un terme d’origine militaire Il faisait référence à la charge de
surveillance externe des villes fortifiées, par contraste avec la surveillance
interne (fonction de police). Les soldats chargés de cette mission utilisaient
des abris temporaires.
> Garde extraordinaire faite la nuit en plein air ;
station qu'une armée en campagne fait, en plein air,
pour prendre du repos
; la troupe même ; le lieu où elle s'arrête.
Un bivouac est un campement rudimentaire
permettant de passer la nuit en pleine nature. Dans les pays développés le
bivouac est le plus souvent pratiqué par des vacanciers lors de randonnée de
plusieurs jours mais cette pratique existe depuis l'apparition de l'homo
sapiens. Pour de nombreux peuples nomades dans le monde le bivouac est encore
un mode d'hébergement courant. Même si le bivouac nécessite souvent l'usage
d'une tente, le fait de dormir sans protection, ce qu'on appelle communément «
dormir à la belle étoile » relève aussi du bivouac, tout comme le fait de
manger en plein air.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire