jeudi 4 octobre 2012

Multiplicité

Par Italo CALVINO 

In « Leçons américaines » - Gallimard 1989

p176
«  … Lorsqu’on compare les deux écrivains-ingénieurs : Gadda, pour qui la compréhension consistait à se laisser impliquer dans un réseau de relations, et Musil, qui donne l'impression de tout comprendre dans la multiplicité des codes et des niveaux sans s'y impliquer jamais, il faut aussi tenir compte d'un point qu'ils ont en commun : ni l'un ni l'autre ne peuvent conclure.
Proust, lui non plus, ne peut voir la fin de son roman-encyclopédie : ce n'est certes pas faute d'un dessein, puisque le projet de la Recherche naît comme un tout, dans ses grandes lignes comme dans son principe et sa fin, mais parce que l'oeuvre s'épaissit et se dilate de l'intérieur en vertu de son propre système vital.. Le réseau qui relie toutes choses entre elles, tel est encore le thème de Proust, le réseau se compose de points spatio-temporels que tout être occupe tour à tour, ce qui multiplie à l'infini les dimensions du temps et de l'espace. La dilatation du monde finit par le rendre insaisissable, et pour Proust la connaissance passe par la douloureuse épreuve de cette impossible saisie.»

p179 
«  ….En de nombreux domaines l'excès d'ambition est critiquable, mais non pas en littérature. La littérature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs démesurés, voire impossible à atteindre. Il faut que les poètes et écrivains se lancent dans des entreprises que nul autre ne saurait imaginer, si l'on veut que la littérature continue de remplir une fonction. Depuis que la science se défie des explications générales, comme des solutions autres que sectorielles et spécialisées, la littérature doit relever un grand défi et apprendre à nouer ensemble les différents savoirs, les divers codes, pour élaborer une vision du monde plurielle , complexe. »

p 183 
« ..La connaissance conçue comme multiplicité, voilà le fil qui relie les œuvres majeures : aussi bien celles du modernisme, comme on l'appelle, que celles du mouvement dit postmodern. »  .
 «  ...le réseau des possibles » apologie du roman comme grand réseau
«  l'hyper-roman » fournir des échantillons de la multiplicité potentielle des récits possibles : ce même principe
… qui veut être une sorte de machine à multiplier les récits, à pétrir d'éléments figuratifs interprétables en divers sens, …»

p 193 94
« Peut -être objectera-t-on que plus l’œuvre tend à multiplier les possibles, plus elle s'éloigne de cet unicum qu'est le self de qui écrit, la sincérité intérieure, la découverte de sa vérité. Bien au contraire, répondrai-je : qui sommes-nous, qu'est chacun de nous, sinon une combinaison d'expériences, d'informations,de lectures, de rêveries ? Chaque vie est une encyclopédie, une bibliothèque, un inventaire d'objets, un échantillonnage de styles, où tout peut se mêler et se réorganiser de toutes les manières possibles. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire